Les arts et la créativité pour l'épanouissement

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In praesentia Nathaliae Roulet raconte une rencontre singulière au sein d’un atelier où le soin ne s’impose jamais, mais se laisse pressentir. Dans cet espace empreint de douceur, l’art ne sert ni d’ornement ni de vitrine — il recueille, il accompagne, il soutient. Marlena Des y dévoile l’expérience d’un entretien devenu traversée, dans le silence feutré d’un lieu où le visible s’efface pour laisser respirer le vivant. Là, l’art-thérapie n’est pas un outil, mais une présence. Un souffle. Une manière d’habiter le soin avec justesse, humanité et délicatesse.

Musarthis Team

Musarthis est un espace de réflexion, un magazine , une sphère d'exploration.

In praesentia Nathalie Roulet

ou la délicatesse d’un soin sans masque

Ce que je préfère dans ce métier, ce sont les rencontres. Pas celles que l’on planifie, ni celles que l’on épingle sur LinkedIn, non. Je parle des véritables collisions d’âmes, des frôlements de sincérité. Celles qui laissent une empreinte fine, comme l’encre d’un vieux stylo, là, juste sous la peau. Celles où l’on sent que quelque chose a basculé, sans faire de bruit.

Nathalie Roulet est l’une de ces rencontres-là. Peut-être même l’une des plus belles, si tant est qu’on puisse hiérarchiser l’émotion. Une rencontre qui m’a été offerte dans le cadre de ce magazine né pour explorer l’art, la thérapie, et ce mot étrange que l’on nomme résilience, comme si l’on avait réussi à poétiser un choc.

C’était en mai. Le ciel était d’un bleu calme, un bleu qui respire. Le genre de bleu dont on se souvient longtemps, sans pouvoir en reproduire la teinte exacte. Ce jour-là, je marchais vers l'atelier de Nathalie, à Genève, avec en tête quelques nouvelles un peu troubles — et, en cœur, l’anniversaire discret d’une amie d’enfance. Tout semblait se conjuguer au singulier.

Elle m’a accueillie avec cette bienveillance qui ne s’annonce pas, mais qui se sent. Un sourire comme un gant de velours, un regard bleu — encore ce bleu — doux et vif tout à la fois. Mes yeux, réflexe de cosmétologue incurable, ont glissé vers ses mains. Elles ne trichaient pas. Elles disaient : « Je suis là. Pour de vrai. »

Le lieu respirait. Pas de surdécor. Pas de feng-shui instagramable. Juste une clarté posée sur les objets, une énergie de passage apaisée. On sentait que des enfants et des adultes y avaient pleuré, ri, dessiné, gribouillé des choses qu’ils n’osaient pas dire. On sentait que ce lieu ne trichait pas non plus.

Nous nous sommes installées au cœur de ce silence vivant, entourées de thés biologiques aux parfums discrets. Un thé aux herbes, et un autre plus corsé, qui me rappela l’odeur des étagères d’une vieille herboristerie où j’avais une fois cueilli des mots pour apaiser un chagrin.

La conversation s’ouvrit. Sans mise en scène. Sans genoux croisés ni carnet prêt. Juste des regards, du thé, et des phrases qui prenaient leur temps. Elle me parla de l’art-thérapie comme d’un soin. Pas une activité artistique déguisée. Pas une décoration de bien-être. Un soin, véritable, offert dans le présent, sans jugement, sans projection.

« En art-thérapie, il y a trois présences », dit-elle.
« La thérapeute, la personne qui vient, et l’œuvre. L’œuvre n’est pas là pour être belle, ni pour être montrée. Elle est là pour porter. Pour recueillir le processus. Ce qui compte, c’est le comment, pas le quoi. Le résultat n’a pas d’importance. L’œuvre est témoin. Pas trophée. »

Je lui confiai, avec un brin de cette franchise qui me trahit souvent, mon scepticisme quant à l’idée d’impartialité.
« On est humains, non ? » dis-je.
Elle sourit, ce sourire de celles qui n’ont plus besoin de démontrer.
« Justement. On est humains, et on s’entraîne. On apprend à ne pas mettre notre grain d’ego dans le terreau du soin. Ce n’est pas parfait, c’est vivant. Mais si l’on se laisse embarquer dans l’émotion du patient, on n’accompagne plus. Accompagner, ce n’est pas aider. Ce n’est pas marcher à la place. C’est marcher à côté. »

Ses mots résonnaient comme une évidence ancienne. Comme un proverbe qu’on aurait oublié, mais que le corps reconnaît. Elle ajouta :
« Le corps ne ment pas. Il ne sait pas mentir. Tout ce qu’il a traversé est encore là. Il garde les cicatrices, mais aussi les forces. En séance, on ne cherche pas à revivre le traumatisme, mais à contacter ce qui, malgré lui, a permis de vivre. »

Elle parla du regard phénoménologique. Un mot long, presque universitaire, mais qu’elle rendit simple.
Ne pas interpréter. Ne pas plaquer une lecture. Juste observer. Écouter. Et surtout, ne jamais oublier : on ne soigne pas sans lien.

Je lui racontai qu’un jour, dans une école de formation, une formatrice m’avait déclaré que pour être thérapeute, il fallait être inébranlable.
Nathalie posa sa tasse. Elle me regarda droit dans mes doutes.
« C’est du jugement, ça. C’est dire : je ne tolère pas ta sensibilité. Or sans sensibilité, pas de lien. Et sans lien, pas d’alliance thérapeutique. Et donc, pas de soin. Je ne prends jamais quelqu’un en thérapie s’il n’y a pas cette rencontre. »

Il y avait dans sa voix une force douce. Une certitude souple. Elle ajouta, presque en secret :
« L’art-thérapie a quelque chose de chamanique. Ce n’est pas une méthode, c’est une traversée. »

Nous avons continué à parler. J’écoutais son regard, plus que ses mots. Il y avait en elle cette capacité rare d’être présente sans envahir, d’être claire sans asséner. Comme un poème bien écrit.

Je lui confiai, presque malgré moi, quelques réflexions personnelles. Elle m’écouta sans m’interrompre. Et ce que je crus être un simple entretien devint peu à peu une séance discrète — une forme de thérapie déguisée sous le couvert d’une conversation.

Je suis repartie un peu plus droite. Un peu plus tranquille. Une part de moi s’était déposée quelque part, sans que je sache quand. Comme si l’on m’avait soufflé quelque chose que j’avais su, autrefois, mais oublié dans la course des jours.

Ce que j’ai compris ce jour-là, c’est que l’art-thérapie n’est pas une succession de gestes techniques, ni un accompagnement désincarné. C’est un espace qui s’ouvre. Un espace où le corps ose dire ce que les mots peinent à formuler. Une séance ne cherche pas à réparer. Elle invite à se rencontrer.

J’en retiens que le soin ne tient pas dans l’acte, mais dans la présence. Dans cette attention fine qui laisse surgir l’essentiel sans jamais le forcer. Dans l’alliance fragile entre le visible et l’invisible.

Et surtout — que le vrai travail ne se fait pas pendant, mais entre. Dans ce qui reste. Ce qui œuvre encore, longtemps après.

C’est peut-être cela, au fond, une séance d’art-thérapie : un point de constance déposé dans notre chaos organique. Une œuvre silencieuse, commencée sans qu’on s’en aperçoive, et qui continue de respirer en nous.

L’art-thérapie, avec Nathalie Roulet, ne se raconte pas. Elle s’éprouve. Elle ne cherche pas à plaire, ni à convaincre. Elle a lieu — hic et nunc. Elle est un soin de l’instant. Un effleurement du vivant.

Et, comme l’aurait dit un vieux médecin latin à l’âme poète :
Cura interioris.
Le soin de l’intérieur.

Délicatement vôtre,

Marlena Des

Illustrations : Verly Amé